Methode Alexander Bruxelles

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Il y a 5 ans, attendant mon deuxième enfant, je travaillais sur une création de ZOO avec une première prévue au huitième mois de ma grossesse. J’ai trouvé le moment bien choisi pour aborder la technique Alexander.
Deux amis proches avaient éveillé ma curiosité en me faisant part de leur expérience. Je ne savais pas précisément à quoi m’attendre.
Ce que j’ai appris m’a d’abord permis de porter mon bébé sans effort. J’ai pu danser et évoluer avec bonheur jusqu’à la fin de ma grossesse, le projet le permettant.
Après la naissance de mon enfant, j’ai voulu poursuivre ce travail d’apprentissage dont l’utilité se confirmait, de jour en jour plus évidente.
Bien que n’ayant jamais souffert de douleurs ou difficultés chroniques, je mesurai  à quel point cette technique, grâce à son approche si particulière, me permettait d’évoluer vers plus de liberté de mouvement.
J’ai eu envie de suivre une formation de professeur, l’imaginant d’abord dans un futur lointain, lorsque je ne voudrai / pourrai plus danser. Mais bientôt, vérifiant à quel point ce que j’apprenais était précieux et inspirant pour moi, j’ai choisi d’entamer cette formation sans tarder, afin de faire dialoguer cette technique avec ma pratique de danseuse/performer.
Aujourd’hui je suis au cœur de ce parcours, les impressions se bousculent.

Je reviens d’abord au moment de mes premières leçons.
Je conserve en mémoire l’étonnement profond dans lequel cela m’a plongée. Pour la première fois, on me demandait de m’arrêter avant de faire.
Pratiquant l’improvisation, j’avais recherché l’étonnement, la surprise, l’étrangeté provoqués par un mouvement ou une qualité. Mais ma recherche était essentiellement guidée par l’idée de faire. Faire différemment, mais faire tout de même.
Là, le professeur me demandait d’être simplement debout, sans rien faire, et je réalisai que je ne savais pas précisément ce que je faisais pour être debout. Lorsqu’elle, par son toucher et ses indications, m’a suggéré où et comment je pouvais faire moins, j’ai eu l’expérience étonnante de sentir mon corps prendre une place, des directions que je ne lui connaissais pas. J’ai découvert que lorsque j’arrêtais de faire, cela permettait un lâcher prise, donc un mouvement, aussi infime soit-il. Ce mouvement ou changement issu du non-faire m’était tout à fait étranger, puisque contraire à mon habitude. Je compris que mon professeur venait d’étendre considérablement pour moi le champ du non-familier, en me démontrant qu’éviter d’interférer durant un acte aussi ordinaire que me tenir debout ou m’asseoir, pouvait déjà m’y faire basculer. Un peu comme lorsqu’en rêve on pousse une porte pour découvrir une pièce en plus qui était toujours là, à portée de main.
Cela en devint tout de suite moins ordinaire.

Peu après le début de mes leçons, j’ai lu «  The use of the self », un des livres de F.M. Alexander.
Dans cet ouvrage il relate en détail l’observation minutieuse qu’il a faite de lui-même, et au terme de laquelle il a conclu à l’unité indivisible de l’organisme humain : selon lui il n’est pas d’activité qui ne soit que physique, tout comme il n’en est pas qui soit purement mentale, ou émotionnelle.
La lecture du récit de sa recherche, et simultanément l’expérience que m’en donnait mon professeur, m’ont convaincue de la justesse de cette affirmation.

L’instrument que j’emploie sur scène pour voir, entendre, sentir, penser, réagir, danser, est le même qui me permet de traverser la rue, d’écouter quelqu’un, de nettoyer la baignoire ou de regarder un tableau. Quand au fonctionnement de cet instrument, il dépend de la manière dont je m’en sers, dont je l’utilise, dont j’en joue, à tout moment.
Rien de plus logique et pourtant rien de plus nouveau pour moi. A tel point que j’ai vu se bouleverser un ordre de valeur. La hiérarchie qui régnait dans ma tête n’a plus lieu d’être.
La satisfaction que je retire d’activités ordinaires pouvant venir enrichir mon expérience artistique et vice-versa.
Les notions de théorie et pratique se confondent, tous mes sens étant impliqués dans les deux cas.
Si j’évite de compartimenter les expériences, faire la queue peut me préparer à danser, et danser me préparer à lire…
Je deviens explorateur et l’application est infinie. Le processus, le chemin, s’avèrent si enrichissants que le but n’est plus la motivation première.
Par exemple s’agissant de mon échauffement personnel, je ne me préoccupe plus de l’objectif : être chauffée à la fin. Je m’attache à la qualité continue de l’exploration  et l’intérêt que j’y trouve assure le résultat : une dynamique finit par s’organiser d’elle-même, l’énergie nécessaire pour danser est générée par le plaisir de l’exploration.

Ces changements et ces découvertes, au fil du temps, sont les effets indirects d’un travail très concret et rationnel.
Ainsi l’attention portée à ne pas empêcher la liberté de l’articulation tête/cou est primordiale dans la technique Alexander. Cette liberté entraîne une succession d’effets bénéfiques : mon dos s’élargit, se renforce, le fonctionnement de mes articulations en général est facilité, simplifié, et surtout un équilibre se crée entre les différents groupes musculaires : les conflits internes qui limitaient certains de mes mouvements depuis toujours tendent à s’harmoniser. Petit à petit, je découvre que ce que je pensais être impossible pour moi, (par exemple m’accroupir, ou ne pas creuser mon bas du dos), était en fait empêché par l’usage mal dirigé et répété que je faisais de l’ensemble de mes mécanismes.
Car même si je pensais à créer de l’espace dans mes articulations, malgré tout mon bon vouloir je n’avais pas  les moyens concrets d’y parvenir, d’alléger réellement la pression et d’accroître d’autant la mobilité avant de plier.
Je devine maintenant que les difficultés auxquelles je me suis heurtée durant mon apprentissage de la danse sont toutes liées entre elles, et le travail que je fais aujourd’hui me permet d’y apporter des réponses. Ces ajustements, parfois infimes, me donnent pourtant le sentiment extraordinaire de danser avec un nouveau corps, alors que j’apprends simplement à me servir mieux du mien.

Du point de vue de performer, l’application est évidente.
Sur scène plus qu’ailleurs, la tendance est à se raccrocher à ses habitudes, à faire confiance aux sensations les plus familières. Dans ces conditions le choix se restreint, limitant la liberté.
« ... La pensée consciente a sa place, ne serait-ce qu’au service de dons plus élevés ou plus profonds. » *
Par exemple la qualité de présence liée à l’utilisation du regard, ou la faculté de ne pas laisser le trac entraver le mouvement naturel de la  respiration et influencer le timing en général, sont pour moi des sujets d’investigation qui s’ajoutent à l’intérêt que j’ai à être sur scène.

Maintenant que la transition se fait plus fluide entre mon activité artistique et le reste, je commence à déchiffrer en creux ce qui est la différence intrinsèque pour moi, dans l’acte de danser, de performer : le jeu, l’interprétation sont mis en lumière et reprennent tout leur sens ; à travers eux le but peut se colorer et rester changeant.

Plus largement, je m’intéresse à l’influence que cette technique peut avoir sur des notions présentes aussi bien dans la danse que dans la vie « normale », comme par exemple le timing, ou l’équilibre.

A propos de timing, l’idée centrale est de se donner le temps; ne pas prédéterminer à l’avance le temps accordé à quelque chose, qu’il s’agisse de lire une phrase à haute voix, ou d’écrire un texte.
Prendre le temps nécessaire pour renouveler un choix, c’est à dire en garantir l’authenticité. (« Est-ce toujours ça que je veux ? ») Le temps de penser. 

Quant à la notion d’équilibre, je prends conscience de son influence constante.
En réponse au déséquilibre, le choix est encore une fois beaucoup plus large que je ne le pensais. Alors qu’on se raidit pour ne pas tomber, on devrait pouvoir/savoir s’adapter à travers la mobilité plutôt que la rigidité.
Mais là encore, ce choix n’est possible que si l’on parvient à court-circuiter la réponse habituelle, afin de modifier à sa source le réflexe lié à la peur de tomber.
Appliqué à la danse il peut s’agir d’un jeu où les combinaisons sont infinies et dont le choix conscient détermine la réponse. 

Au cours de ma formation je suis amenée à rencontrer différents professeurs. Je constate avec satisfaction à quel point leurs personnalités diffèrent, nullement formatées par la pratique commune.
Ce que j’apprends a le pouvoir d’élargir concrètement ma « palette », si je veille à ne rien en exclure. Par là je veux dire que j’ai le souci de ne pas me limiter, de ne pas associer cette technique avec une esthétique, un style de danse, de mouvement.
En évitant l’effort inutile, contre-productif, la technique Alexander nous encourage simplement à ne pas freiner lorsque l’on veut avancer, et à apprécier la vitesse et le mouvement qui s’ensuivent. La facilité avec laquelle on peut alors évoluer est insoupçonnée.
Il s’agit aussi de se donner l’opportunité des contrastes : savoir par exemple ne pas brouiller un geste par des tensions non désirées, pour pouvoir l’instant d’après employer toute la tension voulue, dirigée consciemment.
Chez les danseurs subsiste encore l’idée que l’effort doit toujours être mené à son paroxysme : pas de travail sans souffrance.
Personnellement je découvre un travail de prévention, et c’est un  travail d’orfèvre ou de luthier si l’on repense à l’instrument. Le fait d’apprendre à « accorder ma mécanique », augmente mon plaisir d’en jouer.
Au fond il ne s’agit pas tant de ce que l’on fait, mais de comment on le fait.
J’aime bien cette phrase d’Alexander : « A thief stays a thief, but a good one ! »

Sarah Ludi

* Elizabeth Langford, Professeur d’A.T. et violoniste (1929-2009)

Article paru dans’NDD l’actualité de la danse’, n°50, hiver 2011

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Photograph of F. M. Alexander © 2010, The Society of Teachers of the Alexander Technique, London